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Compte rendu du Mooney Proficiency Training 2012, de l'EMPOA.

(von Bernd Hamacher)

En me rendant à Erfurt pour notre 3ème Mooney Proficiency Training de l’EMPOA, un dicton me revint en mémoire, du temps où j’étais vélivoliste : on pourrait facilement résoudre les problèmes de sécheresse au Sahara, rien qu’en y organisant la coupe du monde de vol à voile. Peu importe où elle était organisée, la coupe du monde de vol à voile a trop souvent souffert de conditions météo déplorables.

Et il semblerait qu’il arrive la même chose - au vu des prévisions météorologiques - à notre Mooney Proficiency Training. En effet, lors des deux précédentes cessions, nous avons aussi fait l’expérience de la grêle pendant au moins une journée d’entrainement sur les trois, compromettant ainsi tout notre emploi du temps. L’année passée, sur l’aérodrome de Donaueschingen, nous avons même eu la malchance que la Forêt noire, d’habitude si ensoleillée, soit la seule région du pays à pouvoir observer de gros nuages très bas dans le ciel et des conditions IMC. Si bien que, les minima requis là-bas pour des approches de non-précision ayant été dépassés, tout atterrissage était parfois rendu impossible, même aux pilotes IFR.

Mais cette fois ça ne se passerait pas comme ça! C’est pourquoi, le cœur lourd, nous avons du dire au revoir à l’aérodrome de Donaueschingen, pourtant formidable – notamment à cause de son hôtel, sur place, et de son atmosphère décontractée (question  sécurité, pas de chichis) – et nous mettre en quête d’un nouveau lieu pour accueillir notre manifestation. En début d’année, Thomas et moi avons donc parcouru le pays pour trouver une alternative à Donaueschingen. La tâche n’était pas aisée, car l’endroit devrait au moins disposer d’un ILS, d’un hôtel sur place et permettre une organisation au niveau sécurité, de sorte que l’accès à nos chers Mooneys ne devienne pas rédhibitoire. Après quelques allers et retours, notre choix se porta sur Erfurt. Car l’endroit offre une infrastructure exceptionnelle et l’aéroport, son équipe ainsi que la sécurité aérienne nous firent savoir qu’ils se plieraient en quatre pour nous si nous acceptions. Une telle offre ne se refuse pas ! Il est rare de nos jours qu’un tel lobby soit attribué aux transports aériens, et ce malgré le risque de voir les ennemis du bruit, provoqué par l’aéroport d’Erfurt, se remette à lui mener la vie dur à cause du retour d’un trafic aérien inhabituel et intense.

C’est ainsi qu’il fut décidé du lieu de la manifestation. Après les éditions 2007 et 2010, le troisième  Mooney Proficiency Training aurait lieu cette année à Erfurt. Moi aussi je me vis attribuer un rôle tout nouveau : alors que les deux fois précédentes j’avais pris part aux réjouissances en tant que simple participant, continuant de découvrir les possibilités offertes par le Mooney grâce à des instructeurs chevronnés, et d’améliorer  mes aptitudes dans le maniement de cette machine incomparable, malgré mes 20 ans de pratique, cette année donc j’ai eu l’insigne honneur d’être nommé Mooney-Instructor par l’EMPOA et la MAPA Safety Foundation et, en tant que tel, me suis vu assigné le siège droit du cockpit. Mais qu’est-ce que ce genre d’entrainement, proposé lors de l’EMPOA Proficiency Training, a de spécifique et qu’est-ce qui le différencie des autres stages et entrainements à la sécurité ? Comme déjà énoncé auparavant, ce n’est que la troisième fois que cette formation est organisée en Europe.

C’est une initiative de l’EMPOA, en collaboration avec la fondation américaine MAPA Safety Foundation, créée il y 25 ans pour combler le manque de structures adéquates, et qui s’est donnée pour but de mettre en place un entrainement propre aux Mooneys. En conséquence, la MAPA Safety Foundation jouit d’une longue tradition et d’instructeurs expérimentés qui ont accès à des connaissances fondamentales sur les intérêts aéronautiques et techniques de ces appareils. Dites-moi, où en Europe on peut trouver des pilotes qui ont à leur compteur 5000 heures de vol sur des Mooney et capables de rendre compte et de transmettre le  savoir ainsi acquis ?

Afin de rendre ce savoir également accessible aux mooniacs européens, l’EMPOA s’est associée à la MAPA Safety Foundation pour proposer cet entrainement en Europe et faire d’instructeurs de vrais Mooney-Instructors. Les exigences requises pour y arriver sont élevées : outre la participation obligatoire au Mooney Proficiency Training, tous les nouveaux candidats doivent posséder, en plus de leur licence d’instructeur, au moins une qualification de vol aux instruments, dans l’idéal une CPL, ainsi qu’être propriétaire d’un Mooney sur lequel ils peuvent justifier d’au moins 800 à 1000 heures de vol.

Ce type d’expérience est indispensable pour connaitre les particularités de ces appareils et donc pouvoir ensuite les enseigner. Et le problème tient justement en ceci qu’en Europe nous avons beaucoup de pilotes et d’instructeurs chevronnés parmi lesquels cependant très peu peuvent justifier d’une connaissance approfondie des Mooneys. Demandez donc à vos instructeurs ou à votre moniteur la différence entre un M20J, M20K et un M20M ? Et à partir de quel moment un Long-Body doit être manœuvré différemment  d’un Short-Body ? Seuls ceux qui ont eu l’occasion de s’entrainer régulièrement sur un Mooney le peuvent. Et c’est justement là l’enseignement que nous voulons transmettre ! On entend encore trop souvent ce vieux préjugé, selon lequel il est très difficile de piloter un Mooney et encore plus de le faire atterrir. Je ne veux froisser personne, mais il s’avère souvent que les instructeurs ont une connaissance limitée de cet appareil et transmettent crainte et hésitation à leurs élèves qui pour finir n’ont pas les bonnes techniques de vol.

Le Mooney est un très bon appareil, très sûr, pour peu qu’on ait appris les bonnes techniques et qu’on le manie comme il se doit. Une fois cette confiance acquise, non seulement la sécurité s’en trouve changée, mais aussi le plaisir en vol.

Et c’est exactement le but du Mooney Proficiency Training : proposer de nouvelles expériences aux pilotes, selon les compétences et le niveau de chacun, et montrer l’étendu des capacités de cet appareil lors de vols aux instruments ou à vue. Le point de mire de tout ceci étant d’apprendre à connaitre le comportement et  les limites de cet avion et de renforcer ainsi confiance et sécurité.

Pendant le Training, les exercices peuvent être variés : cela va d’une bonne vérification extérieure et des points névralgiques (qui se souvient déjà à quoi doit ressembler exactement le puits d’atterrisseur, quand un Tail-shake doit être signalé comme critique et quelle vis peut être en cause lors d’un secours en vol ?), en passant par les différentes techniques d’approche et d’atterrissage (y compris les procédures shortfield et softfield), les stalls and falls, les power settings & engine management, les procédures d’urgence et jusqu’aux attitudes de vol plus inhabituelles, Partial panel en IMC, démonstrations de spirales et autres vols au ralenti. Car oui, nous les Mooniacs, aimons la vitesse. Mais il est bien plus important encore de maitriser le vol au ralenti. Ce dernier ne commence pas à 100 kt ? Non, on a vu de façon saisissante comment le Mooney se comporte en buffeting et que l’on peut même encore négocier des virages, sans pour autant courir le danger que le Mooney ne se mette en vrille de façon violente et incontrôlée.

Quand on sait que le Mooney peut descendre sous les 60kt, que l’on connait les sensations alors produites et les signaux transmis par l’avion au pilote on évite, la fois suivante, d’aborder la dernière phase de la descente les mains moites, ainsi que la crainte de voir l’aviateur tomber comme une pierre.

Ou qui a un jour osé s’en remettre complètement à son Mooney ? Lâcher le manche et poser les mains sur ses genoux, enlever les pieds des pédales et les poser devant soi, sur le plancher, et voir ce qui se passe ? Même si le Mooney amorce une descente et roule autour de son axe longitudinal ? Et ce, non pas pendant 5 à 10 secondes, mais bien pendant plusieurs minutes. On est alors envahi d’une étrange sensation ? En particulier lorsqu’on se remémore les commentaires du l’instructeur, comme quoi le Mooney peut se révéler tout à fait imprévisible ? C’est tout à fait légitime quand on ignore ce que fait l’aviateur, ainsi que ce à quoi il fallait prêter attention. C’est pourtant tout l’inverse : aucun imprévu, ni danger ! Mais pour le savoir, le pilote doit l’avoir lui-même expérimenté et se l’être fait expliquer. Car évidemment cet appareil a aussi des limites.

Le Mooney se différencie des autres avions en particulier parce que chaque modèle est terminé à la main, afin que chacun possède et soit quelque chose d’unique. Mais dans toutes ces situations, le message salutaire est « C’est toi qui dirige l’avion et non l’avion qui te dirige ! ». Il ne s’agit pas ici de provoquer poussées d’adrénaline et perte de connaissance par amour des situations extrêmes, mais bien de comprendre et de savoir reconnaitre comme il faut et à temps les limites de l’appareil, et d’améliorer ses aptitudes et par conséquent la sécurité de chacun.

Seulement certains se disent parfois : « Cela fait 5 ans que je possède mon propre Mooney, sur lequel j’ai plus de 300 heures de vol, qu’est-ce que je peux apprendre de plus ? ». A cela je n’ai qu’une seule chose à répondre : jusqu’à présent personne n’est jamais rentré chez soi, après l’un de ces Trainings, en affirmant que certes la nourriture et l’ambiance étaient bonnes, mais que pour le reste c’était de l’argent vainement dépensé. En y mettant du sien, chacun à quelque chose à en retirer, à optimiser ou encore peut soumettre ses techniques à l’avis de pilotes expérimentés.

Les pilotes de Mooneys, souvent exigeants, férus de technique et perfectionnistes, aiment connaitre et maitriser parfaitement leur avion. C’est la raison pour laquelle les pilotes de Mooney ont une aussi bonne réputation auprès des contrôleurs aériens. Car ces pilotes savent ce qu’ils font et on peut compter sur eux, même en cas de trafic complexe. Bien sur, cela ne concerne pas tous les pilotes de Mooney, mais au moins tous ceux qui participent volontiers à ce genre de formation et souhaitent travailler leurs aptitudes techniques et en vol. Toutefois, bien souvent une seule participation ne suffit pas, car le temps et la réceptivité des pilotes sont limités. Et c’est pour cela que nous avions cette année des participants qui revenaient pour la troisième fois, impatients de voir ce que leur réserverait ce nouveau Training. Je ne peux donc qu’encourager chacun à saisir cette opportunité que vous offre l’EMPOA, car ça n’est certainement pas le dernier Training !

Après cette petite digression, et cette plongée au cœur du programme et des objectifs du Mooney Proficiency Training, je souhaite revenir rapidement sur celui de cette année, qui s’est tenu à Erfurt !

Après avoir arrêté notre choix sur le futur lieu de la manifestation, nous avons gardé un œil attentif sur le temps en Thuringe, qui s’est avéré très satisfaisant ! Même lorsque le ciel était couvert dans le sud et qu’une dépression tourmentait le nord, la Thuringe offrait des conditions de vol plutôt favorables !

Sauf, justement, pendant la 25ème semaine calendaire ! En début de semaine il ne s’agissait encore que d‘averses passagères ou de fronts pluvieux qui se déplaçaient ensuite à travers le pays. Mais à partir du mercredi, une traîne nuageuse s’est constituée au-dessus de l’Europe centrale, et au-dessus de la Thuringe. En voyant cela, Thomas et moi voulûmes nous rendre à Erfurt le jour-même afin de régler les derniers préparatifs et d’accueillir nos amis américains de la MAPA Safety Foundation. Après examen de la carte météorologique, il nous apparut clairement que les choses se compliquaient ! Si chez nous, à Brême, le soleil brillait, à Erfurt, à l’heure du déjeuner, la visibilité était plus que limitée. Nous décidâmes donc, par prudence, que Thomas partirait devant en train (pour ne pas risquer de compromettre l’emploi du temps), tandis que j’attendrais de meilleures conditions météo pour prendre le Mooney, plus tard dans la soirée. Mais il n’en fut rien puisque le soir venu régnaient, à Erfurt, des conditions CATIII au lieu des améliorations annoncées. Thomas me retransmis même en simultané qu’une partie de la tour EDDE disparaissait dans le brouillard. Nous nous en remîmes donc au jour suivant, avec l’espoir de voir venir les améliorations promises.

Cependant les américains aussi étaient aux prises avec des complications inattendues : ayant manqué une correspondance aux USA, ils n’arriveraient à Erfurt que tard le soir. Du moins seuls, car leurs bagages étaient restés bloqués quelque part en chemin. C’est donc ainsi que s’annonçait la semaine ? Faisant fi de cela, nous nous réjouissions d’accueillir à nouveau sur le sol européen la talentueuse équipe d’instructeurs, déjà présents lors du précédent Training : ça n’est pas la distance qui empêcherait  Bud Johnson, John Pallante, Bruce Jaeger, Jack Napoli et Richard Lytle de venir ici, en Allemagne, nous apporter leur précieux soutien.

Le lendemain matin n’apporta que de minces améliorations météo alors qu’un premier programme devait se dérouler pour les nouveaux instructeurs EMPOA.  C’était d’autant plus réjouissant, que ces derniers devraient bientôt prouver leurs compétences et arriver avec ponctualité à l’aéroport malgré les mauvaises conditions météo. Leonard van Linschoten, Matthias Winkler et Alexander Haselmann viendraient ainsi renforcer les rangs du côté européen.

Mais avant que le programme ne puisse débuter, il fallait impérativement subvenir à des besoins élémentaires. Et, sans brosse-à-dents et autres affaires de toilette, sans sous-vêtements et sans certitude de voir arriver les bagages égarés, régnait une certaine inquiétude au sein des troupes. C’est pourquoi une expédition dans le centre commercial tout proche s’imposait, afin que chacun puisse s’équiper, de façon provisoire, pour les quelques jours à venir.

Vers midi, je transmis donc mon plan de vol IFR à la tour EDDE et me mis en route. Le vol se déroula sans incident. Le soleil m’accompagnait en direction d’Erfurt, cependant, en écoutant l’ATIS il me parut clair que l’atterrissage à Erfurt serait un peu plus compliqué : je sortis seulement 100 pieds au dessus du minimum, soit 300 pieds au-dessus du niveau du sol et vis l’éclairage de la piste juste devant moi. Il n’était pas question de vol VFR ce jour-là.

Arrivé à l‘hôtel, je trouvai les instructeurs, américains et européens, attablés dans la bonne humeur, s’échangeant premières impressions et expériences et se réjouissant de ces retrouvailles. Après quoi nous fîmes les quelques pas menant à l’aéroport, qui nous accueillit tout de suite dans sa salle VIP pour suivre le briefing « Train-a-Trainer ». Nous avions prévu d’y consacrer toute une journée, car contrairement aux Trainings précédents, il s’agissait cette fois d’accueillir trois nouveaux instructeurs allemands qui devaient se familiariser avec la philosophie et la structure des formations de la MAPA Safety Foundation. Nous avions opté pour cette organisation car d’une part, 6 instructeurs pour 30 participants n’aurait pas été gérable, et d’autre part car nous voulions mettre à profit cette coopération avec la MAPA Safety Foundation, afin de renforcer les capacités de professeurs qualifiés européens, mais aussi au sein même de l’EMPOA.

C’est pour cela que nous réservâmes une après-midi entière : afin d’aborder les règles du jeu et la philosophie des formateurs américains. Ce briefing m’impressionna beaucoup ! Je connais les américains et leur penchant pour le drill et les programmes de formation « préfabriqués ». Les formateurs américains sont très compétents en la matière et très pragmatiques. Néanmoins ils ont tendance à se borner à l’observation stricte des instructions de ces programmes. Cette fois ça ne fut absolument pas le cas. Ils insistèrent simplement sur le fait : qu’il ne fallait pas voler en „Touch-and-Gos“ mais rentrer à la base, après chaque atterrissage, en roulant , ranger l’avion, effectuer un rapide débriefing sur le taxiway, et redémarrer. Sur ce point il n’y eu pas à discuter, ils avaient eu des expériences positives et souhaitaient nous initier aux procédures adéquates. Il n’en allait pas seulement de notre sécurité, mais aussi de la réputation de la MAPA Safety Foundation.

Cette formation existait depuis déjà 25 ans et n’avait connu aucun accident, et il fallait que ça continue ! Cette justification fut assez convaincante et il s’avéra par la suite que la Foundation n’avait pas pour but de rabâcher un programme tout fait, mais d’aider au développement des compétences individuelles en vol. Une fois ce point abordé, nos amis américains nous montrèrent donc avec éloquence, qu’il n’était pas question de drill, mais d’éveiller l’intérêt des pilotes de Mooney à leurs procédures éprouvées, afin de faire l’expérience des limites de l’avion et de transmettre le mode d’emploi de ses systèmes. Cette approche, orientée sur les compétences, fut tout à fait convaincante. Seul peut prétendre affirmer cela quelqu’un qui connait les systèmes, et est en mesure de proposer une formation centrée sur ces compétences. Et nos amis américains n’ont aucuns points faibles en la matière. Quiconque peut justifier de 16 000 heures de vol, dont la majeure partie avec un Mooney, est en mesure de tenir et de juger de tels propos. Je trouve ça formidable ! Je n’ai certes pas l’expérience de nos collègues américains, mais c’est exactement la philosophie dans laquelle j’ai baigné ces dernières décennies, et en laquelle, en tant qu’aviateur, je crois. On ne peut transmettre que ce que l’on expérimente, réfléchit et qui nous a fait soi-même progresser. C’est bien pour cela que nous sommes ici.

Après le briefing, nous fîmes un rapide passage sur la piste. Notre manifestation ayant fait parler d’elle, la presse locale nous attendait. Malheureusement le temps ne s’était pas amélioré et je ne pus profiter davantage de notre arrêt. Malgré tout, Thomas nous ouvrit les portes d’un petit hangar, prêté par l’aéroport d’Erfurt, qui devait nous servir de base pendant la manifestation et dans lequel tout était paré pour accueillir 25 Mooneys. Un tapis rouge avait été déroulé, des drapeaux encadraient l’entrée, des tables et des chaises étaient dressés, prêtes à accueillir les nouveaux arrivants, et un petit buffet, garni de gâteaux, de bratwurst de Thuringe, accompagnés de schwarzbier et de mousseux, nous attendait en guise de bienvenue. Malheureusement pour rien, car le temps nous avait mis des bâtons dans les roues et seuls trois Mooneys étaient arrivés à l’aéroport d’Erfurt ! Nous prîmes donc place sur les bancs, autour des tables, au moins pour grignoter ce qui avait été préparé à notre intention.

L’ambiance autour des bratwurst et de la bière, d’abord un rien mélancolique, devint vite plus légère lorsque Paul Distelkamp arriva de la tour de contrôle d’Erfurt pour un briefing. Une apparition qui ne manqua pas de piquant ! Paul Distelkamp déplia un plan détaillé qui ne montrait pas seulement les couloirs aériens d’entrainement sécurisés par le NOTAMS (exclusivement pour nous, Mooneys), mais également les superviseurs supplémentaires, mis en place à Munich pour contrôler les approches IFR sur Leipzig et Erfurt. Nos amis américains en restèrent bouche bée ! Aux Etats-Unis, les espaces aériens ne sont fermés que pour les présidents américains ou les militaires. John Pallante, lui-même ex-aiguilleur, à New-York, puis Philadelphie et aujourd’hui conseiller pour l’agence américaine de la sécurité aérienne, pouvait à peine y croire et promit de montrer ce document à la FAA, afin d’obtenir la même chose aux USA. L’Allemagne comme exemple en matière de transport aérien : on ne voit pas ça tous les jours ! Paul Distelkamp continua d’indiquer les couloirs aériens définis spécialement pour la manifestation et insista bien sur les lieux qui ne devraient pas être survolés, par mesure de protection contre le bruit. Les américains apprirent, non sans étonnement, que le cimetière, situé au sud de notre emplacement, faisait partie de ces lieux. Faire silence au-dessus des cimetières, il ne connaissait une telle chose que chez les peuples proches de la nature qui se soucient du repos de leurs esprits ! Mais au pays de la liberté (de voler) on ne connait pas de telles règles de protection contre les nuisances sonores, ni une telle prise en compte de la population. Au contraire on se réjouit mutuellement de ce que la vie offre à chacun. Mais les allemands ne sont pas comme ça !

Lentement, la fin de la journée arriva et chacun priait pour que, pendant la nuit, un bon orage apporte les améliorations météo espérées.

Et c’est ce qui arriva ! Le vendredi commença sous un soleil éclatant. Nous hâtâmes le petit déjeuner pour nous rendre sur le tarmac et accueillir les Mooneys qui arrivaient. Ce qu’ils ne manquèrent pas de faire ! Plus de 20 Mooneys se posèrent les uns après les autres à EDDE et remplirent la grande aire de stationnement de l’aéroport  d’Erfurt. On souhaita la bienvenue aux équipages, qui furent ensuite aiguillés vers l’hôtel de l’aéroport, tout proche, afin de commencer le Ground-Course avec seulement deux heures de retard. Toute la journée, les 30 participants écoutèrent avec attention les exposés, à la fois pointus et divertissants, sur les thèmes « Fly by numbers », « Emergency Procedures », « Decision making » et « Maintenance », centrés tout particulièrement sur les Mooneys.

Ce jour-là j’avais comme tâche, pour le moins agréable, de donner un cours sur le Mooney à trois charmantes copilotes. Le matin, ces dames avaient assisté à un cours théorique et l’après-midi était réservé à la pratique. Chaque participante devait apprendre les fonctions de base du Mooney: comment aborder les virages sur des headings préétablis et comment préparer une descente en douceur avec un point de visée (« Aiming-point ») fixe. A la fin de l’exercice, chaque participante devait être capable d’effectuer un vol d’approche, atterrissage compris. Malheureusement, cet objectif ambitieux ne fut, cette fois-ci, pas atteint, car un fort vent latéral qui soufflait en rafales, rendit la chose irréalisable.

Cependant, au cours de leurs deux heures de vol, toutes les participantes acquirent des connaissances de base essentielles, ainsi que – et c’est presque tout aussi important – beaucoup d’aisance avec l’appareil. En tant que pilotes, nous avons tendance à oublier à quel point nos copilotes se sentent désarmées face à l’appareil, en particulier lorsque nous faisons tout, tout seul, et que nous ne leurs faisons pas prendre part au vol. Il semble alors logique qu’elles ne comprennent pas ce qui se passe autour d’elles, à quoi sert tel levier, pourquoi tel bruit ou encore le sens de procédures, telles que la procédure du tour de piste. J’ai beaucoup aimé ce cours, car j’ai pu voir mes élèves gagner, vol après vol, en assurance et prendre en main l’appareil et ses commandes. Il faut dire aussi que j’avais des élèves fantastiques, concentrées et impliquées, et il est vraiment dommage que nous n’ayons pu aller jusqu’aux exercices d’atterrissage. Par temps plus calme nous aurions réussi, j’en suis convaincu, car ce fut le cas l’année précédente ! Mais indépendamment de cela, ces copilotes ont désormais suffisamment de connaissances, qu’elles pourront ensuite étendre et approfondir. A l’avenir, ces cours Pinch-Hitter feront partie du tronc fixe du programme, justement parce qu’il colle parfaitement à l’aspect sécuritaire de cette manifestation – et ce, même si les américains ne l’apprécient pas plus que ça. Bud Johnson m’a raconté que de tels cours avaient été donnés dans le cadre de la MAPA Safety Foundation, mais qu’ils n’avaient été bien accueillis. Apparemment il est difficile, pour les américains, de voir femmes et avions entre d’autres mains.

Le début des cours ayant été retardé, mon heure de vol fur repoussée au soir, si bien que je manquai le clou touristique de la soirée. Mais j’entendis qu’une ligne de chemin de fer, datant de la RDA, était venue chercher les participants à l’aéroport pour les emmener faire un tour dans Erfurt. Ce fut l’occasion d’une visite guidée de la vieille ville, en passant par les endroits incontournables, qui n’impressionna pas que nos hôtes américains. Bien sûr chacun connait la ville d’Erfurt. Mais qui se souvient qu’elle a l’une des plus vieilles universités d’Europe, dans laquelle Martin Luther a étudié ? La vieille ville et son imposante cathédrale également impressionnèrent et surprirent. La journée s’acheva sur un dîner médiéval, pris sous les voûtes historiques de la  Lutherskeller, tellement en dehors de la vie moderne (pas de réseau pour les portables), que quelques uns des participants durent remonter à plusieurs reprises pour suivre l’évolution du match Grèce/Allemagne, pour les quarts de finale de l’Euro.

Le samedi fut réservé au vol ! Il faisait beau malgré le vent. Déjà tôt le matin les équipages se rendirent sur l’air de stationnement où ne se trouvaient pas moins de 25 Mooneys. C’est toujours une vision saisissante ! Peu de temps après, l’aéroport s’éveilla réellement. Car 9 Mooneys voulaient se rendre sur la piste, et plus précisément sur l’air d’entrainement, afin d’y commencer leur programme d’exercices. Ce qui représentait beaucoup de travail pour les contrôleurs qui organisaient le trafic avec Ground, Apron et Tower, les trois fréquences professionnelles locales.

Il y eut donc toute la journée un va-et-vient de Mooneys, de Crews-changes et de briefing dans la halle attenante à la piste, où tables et chaises permettaient de s’asseoir et de profiter des rafraichissements et des Kaffee-Kuchen proposés pour les pauses. Ce jour là, l’espace aérien était tout entier aux mains des Mooneys et ne fut que très rarement traversé par des vols charters. A plusieurs reprises nous avons entendu sur les ondes des « Mais que se passe-t-il ici ?» étonnés.

L’ATC a fait un travail fantastique ! J’ai moi-même passé 6 heures dans les airs au cours de cette journée et n’ai pu être qu’enchanté par la flexibilité et l’attention des contrôleurs. J’ai également beaucoup aimé les vols avec mes « élèves » que je pu malgré tout initier à quelques exercices qui d’ordinaire ne font pas partie du programme, mais contribuent de façon significative à prendre confiance dans l’appareil. Il n’y a rien de plus beau pour un instructeur que quand de tels inputs sont pris et acceptés.

Je passai donc la majeure partie de la journée dans l’espace aérien d’Erfurt et jusque tard dans l’après-midi, moment où les préparatifs pour le clou du diner de gala commencèrent. Tout d’abord les américains convièrent les 54 personnes à une  social-hour pendant laquelle les lobbies des hôtels pourraient, autour d’un cocktail, être tout à leurs discussions, avant de passer à la salle de banquet. Le restaurant avait préparé un superbe menu : la bière et le vin y abondaient et, après le plat de résistance, Thomas ouvrit le bal avec quelques remerciements, généraux et plus personnels, à tous les participants.

Chaque pilote se vit remettre un certificat de participation et un souvenir d’Erfurt accompagné d’une présentation de son Mooney; les dames reçurent un bouquet. Maurice Lohrke, invité au diner en tant que représentant de l’aéroport, fut également mis à l’honneur pour son implication et son soutien. En effet, ce que l’aéroport et son équipe ont mis en œuvre pour le bon déroulement de notre manifestation n’était pas évident. Puis, comme d’habitude, les mooniacs restèrent encore un long moment à discuter, et pas que de Mooney.

Le dimanche fut à nouveau consacré au vol. A nouveau, neuf équipages s’élancèrent en même temps dans le ciel d’Erfurt pour débuter la 2ème partie du programme, composé en majorité d’exercices IFR. Cette fois encore l’ATC fut exemplaire ! Toute la journée durant, jusqu’à 6 Mooneys étaient en permanence en mouvement sur le VOR d’Erfurt, afin de décoller  ou de suivre les routes parallèles à celles de Leipzig. Les contrôleurs, y compris ceux encore en formation, n’avaient parfois pas assez de leurs deux mains. Quelque soit le moment où John Pallante était dans le cockpit, ils purent constater qu’il ne faisait pas seulement de l’excellent travail en tant qu’instructeur, mais qu’il avait aussi une excellente vue d’ensemble de la situation et pouvait donner de très bon conseils depuis les airs. Ce qui fit forte impression ! Cette journée fut aussi très dense quant à la quantité d’exercices prévue et, contrairement aux précédentes manifestations à Donaueschingen, le temps et le planning permirent à tous les participants d’effectuer leurs vols dans l’ordre. Dans l’après-midi, le vent fraichît encore un peu, de sorte que l’on avait presque un vent latéral de 21-30kt et que les mooniacs purent apprendre à contrôler un tel vent dans des conditions idéales.

Ce qui fut également une nouveauté pour beaucoup. Ceux qui étaient en pause, ou avait déjà terminé, pouvait assister tout au long de la journée, dans le petit hangar près de la piste, à des présentations ou exposés très intéressants, ou encore aller participer au Workshop de Bruce Jaeger sur la maintenance du Mooney en direct sur l’appareil. Déjà la veille, avait eu lieu  une série de présentations ou de conférences sur leurs expériences, tenues par des membres de l’EMPOA ; c’est un ainsi que l’on eu le récit d’un voyage en Afrique à bord d’un Mooney, que l’on apprit de nouvelles méthodes de dégivrage et  que l’on eut un aperçu des techniques d’aéro-éléctronique et de médecine modernes. Il y eut même un représentant de la société TopMeteo, venu tout spécialement pour faire la démonstration de son nouvel appareil météorologique aux pilotes intéressés.

La piste commença donc à se vider dès le début de l’après-midi. Car quiconque avait terminé son programme regagnait ses pénates. En effet une nouvelle perturbation, qui avait déjà gagné le nord du pays, se rapprochait. Plus tôt on se mettait en route, mieux c’était. Le soir venu ne restaient donc plus sur la piste, en dehors de notre appareil, que deux autres Mooneys qui comme nous, ne souhaitaient repartir que le lendemain. Après le départ des derniers participants, vint le temps du rangement.

Le traiteur débarrassa les tables et les chaises et Paul Distelkamp redescendit de la tour pour nous dire au revoir. On discuta de la manifestation et Thomas pris connaissance avec soulagement des sms signalant les premiers atterrissages. Paul Distelkamp nous invita dans sa tour de contrôle où il put parler boutique avec John, tous deux furent surpris des nombreuses similitudes avec le système américain. La perturbation annoncée – et ses averses – nous trouvèrent sur le chemin de l’hôtel. Nous avions donc évité de peu les intempéries ! Quelle chance !

Nous retrouvâmes les derniers participants à l’hôtel, pour diner, et commençâmes les comptes rendus. Les américains furent tout de suite d’accord pour dire que, avec son infrastructure et toute l’aide apportée, Erfurt avait été l’endroit idéal pour cette manifestation. Il leur faudrait trouver la même chose aux USA. Nos amis étaient également impressionnés par l’évolution de notre Training : en 2007 on avait compté 10 Mooneys, 13 participants et 3 instructeurs ; en 2010, 21 Mooneys, 24 participants et 6 instructeurs et cette fois-ci nous avions accueilli au total 25 Mooneys, 30 participants et 9 instructeurs. La participation s’était accrue de façon impressionnante, signe que les mooniacs européens prennent, eux aussi, la sécurité au sérieux. Ils furent également d’accord pour dire que ça avait été une joie de participer à ce séjour, ainsi qu’à ce Training, que ce dernier était sans aucun doute le meilleur des trois et qu’ils reviendraient volontiers. On lança les premières idées pour une nouvelle édition du Mooney Proficiency Training, si bien qu’il ne reste plus qu’à avoir la participation escomptée. Nous restâmes tard, à échanger des photos et parler d’aviation. Mais après ces quelques jours palpitants et riches en expériences, la fatigue se fit sentir. Et nous allâmes nous coucher plus tôt que d’habitude.

Le lendemain matin, Bruce Jaeger et Leonhardt van Linschoten montèrent avec moi dans le Mooney pour rejoindre l’aéroport de Münster/Osnabrück. Les deux hommes voulaient se rendre à Seppe Airfield, en Hollande, avec le projet de mettre en place là-bas la prochaine collaboration américano-européenne pour mooniacs. En partenariat avec l’EMPO « Weep no ore » veut importer en Europe son procédé –développé sous l’égide de Bruce Jaeger – d’isolement et d’imperméabilisation des réservoirs, afin que les mooniacs européens puissent aussi profiter de cette technologie. Grâce au Mooney on se rapprochait de la destination, et en moins de temps qu’avec le train. Ce fut un beau vol au-dessus de l’Allemagne du Nord, malgré le gros temps. Ce qui nous frappa cependant, c’est qu’il n’y avait jamais eu, en même temps, autant de spécialistes du Mooney à bord de celui-ci. Qui peut se vanter d’avoir volé avec un équipage qui comptabilise au total 10 000 heures de vol exclusivement sur Mooney ? Difficile de vous dire à quel point ce trajet fut exceptionnel, ni de vous décrire le pauvre Leonhardt, forcé de piloter le Mooney jusqu’à EDDG, sous l’œil attentif et les conseils des deux vieux briscards.

Après ce vol, je dis au revoir aux américains ainsi qu’à un Mooney-Event que je ne suis pas prêt d’oublier. Non seulement à cause de tout ce qui était organisé, et dont je viens de vous parler, mais surtout à cause des nombreuses rencontres, incroyablement positives, faites durant ces quelques jours, et la certitude de faire partie d’une communauté unique et extraordinaire ! Une fois de plus on a pu constater que les Mooniacs forment une grande famille dont les membres, dispersés dans le monde entier, sont tous d’une richesse incroyable ! Je tiens donc ici à remercier nos amis américains, qui nous ont aidés, pour la troisième fois déjà, à mettre sur pied un tel projet et à le mener à bien avec succès ! Je tiens à remercier mes copilotes de Pinch-Hitter pour leur confiance et leur bonne humeur, ainsi que tous les participants pour leur engagement et leur soutien, manifesté par leur présence, et leur feedback constructif. Je souhaite que ces expériences, je l’espère positives, vous apportent beaucoup tant sur le plan aéronautique que personnel. Enfin, je remercie l’aéroport d’Erfurt et la sécurité aérienne allemande pour leur formidable soutien. Et - last but not least - je tiens à remercier mon fils, Thomas, pour la préparation et l’organisation de cette manifestation. Sans son énergie et son incroyable capacité à  organiser de tels évènements, cette manifestation n’aurait pas été aussi réussie. Pour cela, il mérite le respect de la communauté toute entière ! J’ai moi-même pu constater la somme de travail que représentent la préparation et la conduite d’un projet aussi complexe. Mais je me suis aussi rendu compte que c’est toujours une joie pour lui d’aider les pilotes de Mooneys, et que l’EMPOA lui est chère. Il est à cent pour cent Mooniac et nous pouvons être reconnaissants de le compter parmi nous !

Aériennes salutations

Bernd Hamacher